Bois de Vincennes : à la rencontre de celles et ceux que la ville oublie

Véhicule d’Emmaüs solidarité dans le Bois de Vincennes, le 25 mars 2021

Le vent est frais, mais le soleil perce à travers les branches encore nues des arbres du bois de Vincennes, que je pense connaître. En ce jeudi 25 mars 2021, je vais découvrir un tout autre univers. Déjà, c’est en 4×4 que je suis entrée dans le bois (photo ci-jointe). A son bord, la maire de Vincennes et Valérie Montandon, conseillère de Paris que j’avais retrouvé vers 15h30, au local d’Emmaüs Solidarité, sis au 11, avenue de Nogent à Vincennes.

Nous sommes là pour suivre une maraude organisée par l’association fondée par l’abbé Pierre, une plongée dans un monde presque invisible, à quelques stations de métro seulement de l’agitation parisienne.

Comprendre les habitants du Bois de Vincennes

Bruno Morel, directeur général d’Emmaüs Solidarité, nous ont accueilli avec Rachid Benferat, directeur de territoire, et Herbert Ndoumou, chef de service de la maraude pour nous expliquer, avant de partir, le dispositif. Leurs visages trahissent à la fois la détermination et la lassitude de ceux qui connaissent trop bien les rouages de la précarité. Leurs équipes sillonnent le bois de Vincennes pour rencontrer les 120 à 130 personnes qui y vivent (« en avril 2020, au plus fort de l’épidémie, 140 personnes SDF étaient recensées par les maraudeurs, dans 87 campements. » source rapport d’activité d’Emmaüs Solidarité 2020). Certaines personnes travaillent !

Le budget est des 110.000 euros (sans subvention de la Ville de Paris). Son action n’est pas seulement le distribution de couvertures ou de repas chauds, mais surtout pour créer du lien, écouter, et tenter de briser l’isolement. « La première démarche des équipes d’Emmaüs Solidarité en maraude est celle « d’aller vers ». » Cette approche demande de connaître la typologie des lieux.

Bois de Vincennes
Discussion avec un éducateur d’Emmaüs au sein du Pavillon les Terrasses, avec Charlotte Libert et Valérie Montandon

Les maraudes au sein de la Capitale sont divisées en secteur. Emmaüs Solidarité s’est vu confié la mission spécifique de coordination des acteurs institutionnels et associatifs intervenant dans le bois de Vincennes.

Des procédures ont été élaborées (même le domaine de la solidarité est très administrativés) avec le Secrétariat général de la Ville de Paris et surtout l’Unité d’Assistance aux Sans-Abri (UASA), qui relève de la Ville de Paris, ou la Direction des Espaces Verts et de l’Environnement (la DEVE) : « toutes les informations concernant le bois sont centralisées par la maraude (signalements nouvelles installations, présence de familles, mineurs, ou personnes en souffrance, tentes abandonnées, etc. ) puis relayées aux acteurs compétents. » afin d’assurer une complémentarité efficiente des interventions.

Leurs agents couvrent la totalité du Bois de Vincennes plusieurs fois par semaine.

L’UASA a davantage un rôle régulateur. Le responsable d’Emmaüs nous explique : « On ne donne ni tentes ni assistance pour les abris de fortune. Notre rôle, c’est d’être là, de vérifier que tout va bien, et d’orienter vers des solutions d’hébergement quand c’est possible. »

Et j’apprendrais ensuite que ce sont les agents de l’UASA qui veillent à ce que les construction en dure soient proscrites. Il y a une tolérance pour les cabanes existantes mais il est hors de question de laisser agrandir ou construire à nouveau. On explique qu’il y a deux types de publics. Il y a ceux qui sont « ancrés à la rue », c’est-à-dire sédentarisé dans le bois. On en compte une trentaine (ce chiffre est très ancien – il était déjà le même dans les années 2000). Les autres sans-abri s’installent en lisière du bois de Vincennes, à portée du métro, des commerces et des douches, voire pour certaines exceptions de leur voiture (le parking est encore toléré et gratuit dans ces zones). Il nécessite un travail de prise en charge plus approfondi.

Sur les nouveaux arrivants, il y a des causes multiples : il y a 10 ans, il y a eu une vague de personnes issues de l’immigration de l’Est. Puis, depuis 2015, peu de personnes issues de l’immigration se sont installés dans le Bois ; ce que notre visite me confirmera. Parfois, il y a des phénomènes conjoncturelles. Les lecteurs de ce blogue se souviennent que l’opposition intervenait régulièrement sur la présence de point de consommation de drogue dans le parc de Bercy. Nous avions d’ailleurs, avec Valérie Montandon, rencontrait le commissaire de 12e, en marge du CSPDA pour évoquer ce point. Des évacuations régulières ont été ordonnées par les forces de l’Ordre. D’après qu’un agent avec qui j’ai discuté, ces points se sont déplacés dans le bois de Vincennes. Cela a provoqué des tensions avec les « habitants du Bois ».

La question de la sécurité semble un sujet problématique et de renvoi de compétence ; la garde républicaine (gendarmerie) promène ses chevaux et ainsi peut intervenir ; ce qui autorise, semble-t-il au policier dépendant du commissariat central du 12e de moins venir (ce qui contestera le commissaire lorsque nous le rencontrerons) et les abords du Bois dépendent majoritairement des communes limitrophes.

Le directeur nous explique que les « habitants du Bois » sont majoritairement des hommes (il compte, selon son dernier recensement, tout de même 48 femmes isolées dans le Bois de Vincennes. Le mot isolé est ici administratif. Les femmes sont souvent insérées à des petits groupes (comme je le constaterai aussi sur place). Il y a aussi quelques couples mais aucune famille. Dès qu’un mineur (isolé ou non) est signalé, il fera l’objet d’une prise en charge très poussé pour lui trouver une solution de relogement rapide. C’est une priorité pour tous les acteurs sociaux ou administratifs. Et les gens du Bois eux-mêmes vont souvent intervenir pour convaincre le jeune homme qu’il peut encore s’en sortir en quittant le bois rapidement.

Les chiffres sont froids mais les histoires que nous apprêtons à entendre sont brûlantes. Des vies entières réduites à quelques mètres carrés de toile, des parcours cabossés par la maladie, la solitude, ou simplement la malchance. « On les connaît par leur prénom, leurs habitudes, leurs peurs, » ajoute Herbert. « Parfois, il faut marcher longtemps pour trouver une tente cachée au fond des fourrés. »

Sur le terrain : le Bois de Vincennes et ses ombres

À 15h50, nous montons dans les véhicules. Avec une superficie de 995 hectares, le Bois de Vincennes étant le plus grand espace vert parisien, il serait injuste de mettre les équipes des maraudes du Bois de Vincennes sur des vélos cargo pour assurer leur portage humanitaire… Deux voitures, deux équipes : une avec Emmaüs, l’autre avec la mairie. Je me retrouve, aux côtés de Valérie Montandon et de Charlotte Libert-Albanel, la maire de Vincennes.

Nous pouvons accéder à des parties interdit à la circulation et le trajet sera rapide. Puis nous atteignons une première zone de vie : une corde à linge tendue entre deux arbres, un abri de fortune construit avec des branchages, une tente à moitié dissimulée sous les feuilles mortes. Nous nous arrêtons près d’un premier campement. Michel, 50 ans (qui en paraît dix de plus), nous accueille devant sa tente, entourée de deux chaises et d’une petite table. « Ici, au moins, je suis tranquille » en désignant la nature. « Je ne supportais plus le regard des gens dans la rue et je ne supporte pas les alcolos des foyers et j’ai mon chien. » Il rit en caressant son compagnon, mais ses yeux fuient les nôtres quand on aborde l’avenir. Et nous allons écouter, chacun individuellement, de nombreuses histoires de vie, malheureusement souvent banal, avec un accident et l’impossibilité, souvent par fierté de ne pas appeler à l’aider ou en raison de conflits familiaux, de ne pas appeler à l’aide. Paradoxalement, nombreux sont les rencontres qui expriment leur sentiment de liberté, malgré le froid. La manière de gérer le quotidien semble facile à certain.

Le Pavillon « La Terrasse », un havre précaire à l’orée du Bois de Vincennes :

À 16h15, nous quittons le bois pour nous rendre au Pavillon baptisé « La Terrasse ». Ce centre d’hébergement d’urgence, ouvert le 18 novembre 2020, est niché sur la commune de Saint-Maurice. Il a 21 places d’hommes ayant vécu dans le bois de Vincennes (17 en hébergement et 4 en halte de nuit), pour une durée de vie limitée à deux ans. Forte du succès d’une première expérience (le site temporaire de La Redoute de Gravelle, ouvert entre 2016 et 2017), Emmaüs Solidarité, avec la Ville de Paris qui est le propriétaire du bâtiment, elle a entièrement rénové ce lieu de 112 m², en l’adaptant à des personnes devant se réadapter à la vie en communauté.

C’est un espace de vie, conçu pour offrir un peu de dignité et de stabilité. Entouré d’un espace extérieur, des ateliers de jardinage et de bricolage doivent y voir le jour, pour redonner du sens au quotidien de ceux qui y passent.

25 mars 2021, Café au Pavillon « Les Terrasses »

Nous sommes frappés par le côté « bienvenue chez nous » des hommes qui nous offrent un café bienvenue. Les animaux sont les bienvenus, et la consommation d’alcool, encadrée, n’est pas un motif d’exclusion. Le respect des règles qui s’impose en communauté est rappelée par un résident. Cela me marque car il évoque, avec d’autres mots, la valeur sociale du Droit, chers au libéraux. Si les histoires sont similaires, le discours sur l’avenir est différent. « Vous qui voyez des politiques » m’indique un résident, « dites-leur que ce n’est pas facile de se relever mais que cela ne repose que sur soi-même, et que c’est cela qu’on a besoin d’entendre. » Alors je l’écris : non, ce n’est pas facile. Mais ce jour-là, dans le bois de Vincennes, j’ai vu des femmes et des hommes qui, malgré tout, résistent. Et des équipes, comme celles d’Emmaüs, qui refusent de les abandonner.

Rendez-vous le soir pour la nuit de la solidarité.

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