La culture appartient à tous !

Article publié le 14 février 2014 sur le site de campagne de Valérie Montandon

projection nocturne sur la Cinémathèque

projection nocturne sur la Cinémathèque

Le douzième recèle d’illustres lieux de diffusion ou de création artistiques reconnus (comme l’opéra Bastille ou la Cinémathèque nationale, par exemple). Il comporte aussi des espaces de création plus confidentiels, où peuvent surgir les talents (on peut penser à l’Atelier en Commun, atelier d’artistes installé au 100 rue de Charenton ou au studio du tunnel Baron-Le-Roy, où sont tournés énormément de clip musicaux).

La création passe aussi par les métiers d’Art dont le douzième arrondissement, depuis des siècles, représente encore l’excellence, avec son faubourg Saint-Antoine, toujours actif et qui maintient cette réputation avec le viaduc des arts qu’il convient de dynamiser encore davantage ou en accueillant l’école Boulle.

Je ne veux pas d’une mairie qui croit que quelques lieux de culture, vitrines de l’égo des amis du Maire, font toute la ville.

NKM, gymase Japy, 10 février 2014

Mais la culture est aussi le fruit du travail d’artistes indépendants ou d’amateurs éclairés. Vous ou votre voisin peut-être ? Seulement, si émerger est le fruit du travail et du talent, c’est au public de décider ce qu’est le beau et certainement pas à des pouvoirs publics ou des structures financées par la Ville.

Favoriser ces énergies créatrices, en réduisant au maximum les éventuelles tracasseries administratives est au cœur du programme culturel pour Paris, présenté le 27 janvier dernier par Nathalie Kosciusko Morizet, à la Villa Frochot, en présence de nombreux professionnels du milieu artistique, dont Isabelle Tavaux pour le douzième arrondissement.

Il y avait également Eric Garandeau, ancien président du CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée), colistier sur la liste de Christian Saint Etienne dans le 11e arrondissement, l’un des bâtisseurs du projet culturel pour Paris.

MS

Cinq questions à Eric Garandeau…

Eric Garandeau (photo de profil FB)

Interview publiée le 13 février 2014 sur NKMPARIS

D’après vous, la culture a-t-elle une couleur politique ?

La culture est bleue comme une orange, elle a les couleurs de l’arc-en-ciel et des couleurs qui n’existent même pas: son territoire est celui de l’imaginaire, alors que l’échiquier politique a plutôt tendance à regarder le monde à travers des cases en noir et blanc. La culture appartient à tout le monde et donc à personne, et sa couleur n’est politique qu’au sens étymologique: la culture est étroitement liée à la Polis, car la Ville n’est pas autre chose qu’une construction culturelle.

La culture est bleue comme une orange…

Mais j’imagine que votre question est aussi de savoir si la culture a une couleur plutôt rouge ou plutôt bleue… et là je suis catégorique! La culture n’appartient ni à la gauche ni à la droite ni encore moins au centre – puisqu’elle se construit dans les marges. En fait pour tout vous dire je ne crois même pas aux catégories gauche/droite en matière politique! Je crois que la poétique et la politique ont ceci de commun qu’il y a dans les deux cas des courants baroques et des courants classiques, des réformistes et des conservateurs. Pour prendre un sujet d’actualité, François Hollande et Anne Hidalgo sont des classiques et des conservateurs, alors que Nicolas Sarkozy et Nathalie Kosciusko-Morizet sont des réformistes et des baroques. Si quelqu’un vous dit, « ce n’est pas vrai, la gauche et la droite c’est radicalement différent », c’est à coup sûr un conservateur! Puisqu’un conservateur se positionne par rapport à des positions géographiques fixes et rigides, tandis que le réformiste se situe dans un mouvement qui va de l’une à l’autre…

D’après vous, quel doit être le rôle des politiques à l’égard des artistes ?

Le rôle du politique est de donner le maximum de liberté aux créateurs, car la création artistique est une fonction sociale essentielle au-delà d’être un moyen d’épanouissement personnel. L’homme meurt au bout de quelques jours si on l’empêche de dormir, de rêver. Les artistes sont la société qui rêve, et qui parce qu’elle rêve, se perpétue, évolue. Comme la création est un processus à la fois très puissant et très fragile, le rôle du politique est donc préserver les artistes des contingences, et aussi de les prémunir de toutes les pressions, qu’elles soient économiques, idéologiques, politiques. Attribuer une subvention publique à un créateur, c’est lui donner de la liberté, ce n’est pas acheter son vote.

C’est pourquoi je crois aux comités de professionnels qui leur permettent de se prononcer en toute indépendance sur l’octroi des aides aux artistes, et c’est pourquoi je condamne la pratique des comités de soutien constitués par certains candidats à des élections politiques. Tout comme Nathalie Kosciusko-Morizet, je pense que de tels Comités sont dommageables à l’esprit démocratique, a fortiori lorsque ces candidats sont déjà aux affaires. Heureusement les artistes sont en train de se rendre compte que certains courants ou personnalités politiques ont tenté de les instrumentaliser à des fins électoralistes. Ils se sentent d’autant plus floués lorsque des candidats leur ont promis monts et merveilles en échange de leur soutien, et s’empressent de diminuer les budgets culturels une fois arrivés au pouvoir, comme c’est le cas depuis le printemps 2012.

 La coordination des intermittents précaires vient de le constater si nettement que la presse pour une fois a bien voulu relayer leur message: « un ministre de droite cherche toujours à prouver qu’il aime la culture alors que la gauche peut faire n’importe quoi et sans complexe » (Le Monde du 11 février 2014).

Pour quelles raisons NKM a appelé à « désinstitutionnaliser» la culture ?

NKM a utilisé cette expression pour dénoncer une forme de dérive dans les coûts de fonctionnement et dans les pratiques de gestion des opérateurs qui dépendent de la ville de Paris. Au fil du temps, ces opérateurs (théâtres, musées, orchestres…) ont vu leurs coûts de fonctionnement se développer considérablement, au détriment de leurs marges artistiques. Nous devons donc évaluer l’efficacité des subventions qui leur sont versées, pour que l’argent soit réellement utilisé afin de soutenir la production et la diffusion artistique, et pour mettre un terme à la gabegie et au gaspillage.

Car il n’y a aujourd’hui aucun appareil d’évaluation de la qualité des projets soutenus ni de leur efficacité managériale. Les subventions accordées sont reconduites chaque année sans  suivi ni remise en cause. Ainsi, lorsqu’un nouveau projet arrive avec une nouvelle dynamique, il a peu de chance de percer puisque la place est déjà occupée par une structure plus ancienne. Pour y remédier, NKM propose que des comités soient réunis, pour que ce soient des spécialistes de chaque discipline, et non pas des fonctionnaires et encore moins des politiques, qui se prononcent sur la qualité des projets. Cela ne veut évidemment pas dire que l’on privatise la culture, comme l’ont dit certains mauvais esprits, cela signifie simplement que l’on ne fait plus n’importe quoi, à la tête du client.

Avec d’autres professionnels, vous avez construit le programme culturel de NKM. Quels sont les grands projets qui pourraient être réalisés à Paris ?

Une bonne politique culturelle ne cherche pas à être originale mais à accompagner les projets originaux. Elle doit déceler les talents chez les artistes, les associations, les entreprises, et les accompagner dans leur développement.

Il faut se garder de toute vision idéologique de la culture. J’ai entendu la semaine dernière un architecte – qui avait une sensibilité sociale très développée  – me dire une chose à peine croyable: « mes projets de logements sociaux ont tous été refusés par des Maires de gauche, au motif qu’ils étaient trop beaux et que ça ne faisait pas assez logement social. Avec des Maires de droite au moins je n’ai pas de problème, ils me laissent libres de mes choix esthétiques ». L’idéologie doit être bannie des services de la ville de Paris, elle a déjà fait beaucoup trop de dégâts dans l’architecture et l’urbanisme. Aujourd’hui, notre capitale perd beaucoup en attractivité, elle rayonne beaucoup moins qu’au XIXe siècle, beaucoup moins que dans les années 20, beaucoup moins que lors des 30 glorieuses: à cette époque il était inimaginable pour un artiste européen de ne pas venir à Paris. Aujourd’hui c’est à peine vrai pour la Haute Couture, mais pour combien de temps? Les cinéastes vont à Cannes, les plasticiens à Berlin, les jazzmen à New York…

Pour retrouver le sex-appeal de Paris, il faut jouer sur tous les facteurs: l’environnement, l’embellissement architectural, le logement, la connectivité et les services numériques… La politique culturelle doit innerver l’ensemble de ces politiques pour faire revenir les populations créatives.

Nous devons également penser le problème en amont. L’éducation artistique doit être une vraie priorité de la prochaine mandature. Elle aide à créer les publics et les artistes de demain, à rétablir l’égalité des chances. Il n’est pas normal que des parents soient obligés de dormir dans la rue pour inscrire leurs enfants dans des conservatoires de musique, simplement parce que notre capitale est notoirement sous équipée en conservatoires, comme elle est sous équipée en piscines et en gymnases. Il faut mettre un terme à la désorganisation des rythmes scolaires introduite par le Ministre de l’Education, pour offrir à tous les élèves des activités artistiques réelles, avec un encadrement adapté. Et cet effort ne doit pas diminuer à mesure que l’enfant grandit.

Les musées doivent avoir les moyens de se rénover et de se développer, en réduisant le fardeau de la gratuité, qui profite avant tout aux touristes étrangers. Nous devons aussi mieux nous occuper de nos orchestres. Il existe un fort déséquilibre dans l’attribution des subventions entre les orchestres permanents et les autres, qui ont pourtant des résultats artistiques et un rayonnement international qui n’ont rien à envier aux premiers: regardez les Arts Florissants, exilés en Normandie, le Concert d’Astrée, exilé à Lille, l’Orchestre des musiciens du Louvre, exilé à Grenoble tout en continuant d’ailleurs à s’appeler l’orchestre des musiciens du Louvre! Par ailleurs, nous devons construire un vrai projet artistique pour la Philharmonie de Paris. Aujourd’hui, rien n’est véritablement défini alors que l’ouverture a lieu dans un an! Il nous faut une programmation artistique concrète pour que cet équipement accueille convenablement les plus grands orchestres de France et d’ailleurs, avec un projet pédagogique solide qui rayonne dans tout l’espace métropolitain: contrairement à la loi votée l’an dernier, le Grand Paris doit aller au-delà de la Petite Couronne, sinon c’est une contradiction dans les termes!

Ensuite, comme l’a dit NKM nous devons offrir plus de place aux producteurs artistiques, aux entrepreneurs culturels. Leur donner accès aux  institutions publiques telles que le Palais de Tokyo, la Gaîté Lyrique, le 104, la Maison des Métallos… Il y en a tant d’autres ! Je pense notamment au lavoir moderne parisien contraint de fermer ses portes.

Tous ces espaces restaurés avec l’argent des contribuables, doivent être davantage ouverts à différents créateurs et publics, avec des horaires élargis. L’idée n’est pas de multiplier à l’infini les évènements mais de  donner plus de visibilité à certaines opérations qui pourraient avoir pour conséquence, un rayonnement culturel profitable au Grand Paris et pour la France.

Aujourd’hui, la culture s’est un peu fonctionnarisée, assagie, normalisée. Nous avons oublié l’essence même de la culture qui est la beauté, la singularité, l’originalité, le bizarre… et le bazar! Nathalie a annoncé un grand bazar du cinéma, car ce n’est pas normal que la ville qui a inventé le septième art, n’ait pas réussi à en faire un festival international de première catégorie. Le Palais de Tokyo, lieu historique de la cinémathèque française, pourrait être un espace accueillant ce grand festival du cinéma, qui mettrait en valeur le cinéma mais aussi les séries TV et les jeux vidéos, dès lors qu’il y a une vraie qualité artistique. On pourrait d’ailleurs en débattre avec un cycle de conférences et de débats. Nous pourrions également y installer un grand marché du film et de la production et héberger un salon international des technologies: beaucoup de petits salons ou de petites foires ont lieu dans Paris, distinctement les unes des autres, mais il n’existe pas encore un grand évènement qui fédère l’ensemble de ces opérations.

La beauté c’est aussi l’architecture et l’urbanité – l’urbanité plutôt que l’urbanisme. Nous souhaitons instaurer des concours d’architecture pour embellir Paris, notamment sur les grandes places métropolitaines qui ont été soit délaissées – de la Bastille à la Concorde – soit bétonnées (cf. scandale de la place de la République ou le deuxième scandale du forum des Halles malgré le recours à un très grand architecte dans ce dernier cas). Ces carrefours sont riches de l’histoire de Paris, ce sont des lieux de passage et de rencontres. Nous devons redonner une harmonie nécessaire entre le patrimoine et la modernité de ces lieux.

Se réapproprier les espaces délaissés, comme les stations fantômes du métro, fait également partie de cette dynamique. Nous ne pouvons plus construire Paris sur du vide. Il nous faut donc transformer les espaces déjà existants ainsi que leur usage. Etrangement, cette idée n’a pas été mise en œuvre jusqu’à maintenant, alors qu’elle séduit bon nombre de Parisiens et passionne les nouvelles générations d’architectes. Plutôt que de modifier ces espaces abandonnés, la majorité sortante préfère les raser. C’est ainsi que les tunnels du Baron-le-Roy dans le 12e arrondissement sont menacés, alors que c’est un lieu à réinventer, comme ce fut le cas du Viaduc Daumesnil, transformé en village des arts il y a vingt cinq ans, et qui aurait besoin de trouver un deuxième souffle. De jeunes architectes comme Manal Rachdi, sont en train d’y travailler: son projet de réinvestissement de la station de métro Arsenal est en train de faire le tour du monde de la presse généraliste et spécialiste. Embellir Paris, vaste programme… et surtout il faut stopper d’urgence la dégradation et la banalisation constante d’un formidable héritage légué par les siècles, et soumis à tellement d’expérimentations hasardeuses…

Vous êtes colistier sur la liste de Christian Saint Etienne dans le 11e arrondissement. Quel projet culturel aimeriez-vous particulièrement apporter ?

Le 11e est un arrondissement extrêmement riche de sa culture et de ses entreprises culturelles. Christian Saint-Étienne, qui est l’un de nos grands économistes, ne s’y est pas trompé: par sa gastronomie grâce aux restaurants qui ouvrent sans cesse, mais aussi par ses théâtres, ses salles de concert, ses métiers d’art, ses designers, producteurs audiovisuels… Les derniers jambons à être fabriqués à Paris le sont Rue de Charonne, ainsi que les meilleurs chocolats, ceux d’Alain Ducasse, qui a ouvert sa manufacture Rue de la Roquette. Il y manque cependant des cinémas, étrangement.

Le XIe ne compte que trois équipements cinématographiques tous situés Place de la Bastille – dont l’un a maille à partir avec la justice – alors que cet arrondissement est en population la 17e ville de France! Je soutiens donc l’idée de créer une Maison du cinéma qui pourrait accueillir aussi bien la diffusion de films d’auteurs, d’essais et être dans le même temps un lieu de rencontres pour les scénaristes, les cinéastes, les producteurs, qui sont si nombreux à habiter le XIeme. L’idée n’est pas de créer une structure publique, mais plutôt de rénover un lieu et le confier à une équipe professionnelle.

Nous voudrions aussi mettre en réseau toutes les ressources culturelles de l’arrondissement, pouvoir les identifier rapidement sur des plans et des applications smartphone en 3D, y compris les commerces et les services (designers, architectes, métiers d’art, producteurs…) pour favoriser les synergies entre ces activités créatives, car le XIeme est un véritable cluster d’entreprises, un cluster qui s’ignore. Pour tous ces métiers créatifs nous réfléchissons à un label « Made in XIeme ». Il y a bien d’autres projets encore, notamment un festival pour mettre en lumière la centaine de cultures du monde qui cohabitent harmonieusement sur ce territoire qui est le plus dense du monde, devant New York et Tokyo! Le XIeme est une fabrique d’intégration et de coexistence harmonieuse entre plus de 100 nationalités différentes, un exemple à suivre et à préserver…

 

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