Poulydor dans le bois Vincennes

Poulydor dans le bois Vincennes, ou plus précisément la dénomination « Raymond Poulidor » de l’anneau cyclable du polygone dans le bois de Vincennes, tel est le vœu proposé par Nicolas Bonnet lors du conseil d’arrondissement du 25 novembre 2019.

Antoine Blondin, dans la brouette, s’amuse avec Raymond Poulidor. (L’Equipe – article du 16 novembre 2019)

Fallait-il voté pour ? Raymond Poulydor s’est un temps revendiqué communiste et la crainte de récupération n’est jamais loin (les fidèles lecteurs de ce blogue connaisse mon aversion pour les instrumentalisions rouges des rues de Paris (par exemple sur l’apologie d’une communarde dans la caserne de Reuilly ou l’instrumentalisation de la place de la Nation).

Le sujet est ici différent. Il est incontestable que Raymond Poulidor, qui nous a quitté le 13 novembre 2019, fut l’un des cyclistes français les plus populaires. Le choix de l’anneau cyclable, qui vient d’être restauré durant l’été 2019 et logique. Plus cocasse, le Vélodrome de la Cipale, lieu d’arrivée du Tour de France de 1968 à 1974, porte le nom de Jacques Anquetil, qui restera donc l’éternel rival de Raymond Poulidor dans le bois de Vincennes aussi.

Mais surtout, si ses exploits sportifs incontestables ne parlent pas forcément aux générations postérieures aux années 60, Poulydor a eu le mérite de laisser son nom à une expression populaire de magnifique éternel second. Cela ne laisse pas indifférent. Pour comprendre, rien de plus agréable que de se plonger dans « l’Ironie du sport », du plus grand raconteur d’épopée sportive, surtout cycliste, de 59 à 82. Son auteur disait, de son vivant :

Les gens qui cherchent aujourd’hui les écrivains de droite et ne les trouvent pas auraient intérêt à se rendre au cimetière. De même ceux qui nous demandent où sont nos maîtres…

Antoine Blondin, ma vie entre les lignes, Oeuvres, Paris, Robert Laffont, collection Bouquins, 1991, p.991

Voici, pour comprendre qui est Poulydor grâce à la force de la littérature, une excellente fable revisitée sur Poulydor, signé en 1963, pour l’Equipe du merveilleux Antoine Blondin (qu’il faut lire un verre à la main) :

L’aigle et le Poulain

Un directeur sportif, sentant la fin prochaine,
Fit venir son poulain et lui tint ce langage :

« Dans les jours à venir, courez à perdre haleine
Car après ça, Raymond, on peut tourner l’alpage.
Et je ne prétends pas que vous puissiez en plaine
Rattraper le retard qui est votre apanage.

Si du jaune maillot vous convoitez la laine
Grimpez, si m’en croyez, de tout votre courage
Car il est bon que vous sachiez qu’en ce domaine
Patience fait moins que force, ni que rage.
Quant à longueur de temps, mon vieux, n’en parlons point !
Sur vos i je ne veux pas mettre trop de points,
Ni contrarier le fabuliste.
Gardez-vous cependant d’être trop attentiste
Trop prudent ou parcimonieux,
L’important n’est plus de se montrer fataliste
C’est d’aller au-devant des dieux.
A vous donc la rogne et la hargne,
Salut les cols, bonjour les montagnes !
Voilà votre poule aux œufs d’or
Ne la tuez pas trop d’épargne. »

Ainsi parla Antonin Magne
A l’intention de Poulidor

Or ce brave poulain, fier coursier de la Creuse,
Depuis tantôt huit jours pédalait dans la crème
Mains au guidon, le nez au vent, la mine heureuse,
Remettant à demain ce qu’on fait le jour même.

« Ne forçons point notre talent
Nous ne ferions rien sans la classe,
Se ré pétait ce nonchalant,
Il faut que Pyrénées se passent
Pour que je prenne mon élan. »

Ainsi franchit l’Aubisque et le grand Tourmalet,
Aspin , puis Peyresourde et le Portet-d’Aspet

Sans que précisément l’aspect de la question
Fût changé en quoi que ce soit. Au portillon
Il pointa cependant museau à la portière,
Puis sembla se moquer du quart comme du tiers
Et retomba bientôt dans le sommeil pesant
Qui dans la roue des rois endort les courtisans.
A ceux qui invoquaient quelques mystérieux philtres
Raymond disait : « Sachez que les Gitanes filtrent
La moindre volonté d ‘émancipation.
Mon échappée se produira quand l’attention
De ces messieurs fera relâche et nous verrons
Un peu plus clair en pénétrant dans l’Aveyron. »
On atteignit en vain les faubourgs d’Aurillac :
Ce n’était pas encore un bide, mais un couac.
« Rassurez-vous, amis, la course peu propice
M’oblige à différer un peu l’entrée en lice
Mais c’est promis, juré, sur les sommets alpins
C’est moi qu’on chassera comme un petit lapin. »
Ah ! misère de l’Isère! Point d’écho à Grenoble.
Où sont ces
Le poulain n’a pas galopé, il rétrograde.
(Bonnes gens, apprenez qu’il est monté Anglade !)
Bien plus, c’est un oiseau que le plein vent apporte
Qui est passé, ce soir, au col de Porte,
Mais cet oiseau c’est celui qui vient de Tolède,
L’Aigle que le ciel aidera parce qu’il s’aide.
Or, croyez-moi, pour un poulain ce n’est pas gai
Sur la cime des Alpes de se faire alpaguer.
Et il faut revenir aux maximes d’antan :
Rien ne sert de courir si l’on ne part à temps.

Antoine Blondin, L’Ironie du Sport, in Oeuvres, Paris, Robert Laffont, collection Bouquins, 1991, p.1338

Ah. J’oubliais le sujet de mon article. Oui, j’ai voté pour, avec mon groupe, au vœu de voir une dénomination de Raymond Polydor dans le Bois de Vincennes.

Sur le même sujet : Quand Antoine Blondin célébrait Raymond Poulidor

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